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Au programme, des actions concrètes et locales sur la transition énergétique dans les territoires,
ainsi que des initiatives pour moins (et mieux) consommer l'énergie.
La Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) est l’instrument qui oriente, sur dix ans, les choix énergétiques de la France. Elle définit les volumes de production et de consommation à atteindre, filière par filière, afin d’assurer la sécurité d’approvisionnement, de réduire la dépendance aux énergies fossiles et de respecter les objectifs climatiques. En théorie, elle doit être révisée tous les cinq ans. En pratique, la PPE3, censée couvrir la période 2025-2035, accuse aujourd’hui plus de deux ans de retard.
Ce décalage fragilise la visibilité des acteurs industriels, des investisseurs et des collectivités, à l’heure où la priorité est à l’électrification des usages. Où en sommes-nous réellement ? Pourquoi sa publication est-elle si compliquée ? Et que contient, à ce stade, le projet de PPE3 ?

Créée par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (2015), la PPE s’inscrit dans une logique de programmation quinquennale, adossée à la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC). Elle précise, pour chaque grande filière (nucléaire, renouvelables, gaz, hydro, chaleur, mobilité), les volumes de production et les rythmes de déploiement à atteindre, en cohérence avec les scénarios de RTE, le gestionnaire national du réseau de transport.
L’objectif est double :
En ce sens, la PPE n’est pas un simple exercice bureaucratique : elle est la boussole de la transition énergétique française.
En 2022, la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) organise un vaste débat destiné à poser les premières bases de la PPE3. Puis, en novembre 2023, une première version du texte est mise en consultation publique. Mais dès janvier 2024, le Projet de Loi sur la Souveraineté Énergétique (PJLSE), présenté par le gouvernement Borne, en écarte finalement le volet consacré à la PPE3, alimentant la frustration des parlementaires.
C’est de cette exaspération qu’est née la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie du sénateur Daniel Gremillet, dite PPL Gremillet, déposée en avril 2024 pour pallier l’absence de feuille de route énergétique. Adoptée en première lecture au Sénat en octobre 2024, elle est à l’agenda de l’Assemblée au printemps 2025. Mais le 19 juin, quelques jours avant le vote, les députés adoptent par surprise, dans un hémicycle aux bancs désertés, un amendement controversé, instaurant un moratoire sur les projets éoliens et photovoltaïques. Le texte, profondément modifié, est finalement rejeté le 24 juin par l’Assemblée nationale lors du vote solennel.
En juillet, le Sénat reprend la main et adopte de nouveau la loi en deuxième lecture, dans une version proche du texte initial, débarrassée du moratoire. Mais le blocage persiste.
Dans le même temps, l’exécutif hésite : publier la PPE3 par décret ou en passer par la loi, jugée par certains plus légitime démocratiquement. À l’été 2025, un projet de décret, très proche de la version Gremillet, est prêt. Matignon va jusqu’à préparer un communiqué annonçant sa parution au Journal officiel dans la nuit du 31 juillet. Mais au dernier moment, la publication est suspendue. Officiellement, pour des raisons de calendrier politique ; en coulisse, le choix de François Bayrou de ne pas signer le texte avant sa démission est évoqué.
Résultat : début octobre 2025, la PPE3 reste introuvable, au grand désarroi des filières énergétiques qui attendent une feuille de route claire depuis plus de deux ans.
Le projet de loi Grémillet doit maintenant repartir à l’Assemblée nationale pour un examen en deuxième lecture. Mais le calendrier du Palais Bourbon est désormais suspendu aux aléas politiques : l’examen du texte prévu fin septembre ne figure plus à l’agenda. Depuis la démission du gouvernement Lecornu le 6 octobre dernier, l’incertitude sur la tenue des débats s’est encore accrue.
Les équilibres parlementaires restent fragiles : la droite juge le projet insuffisamment ambitieux sur le nucléaire, la gauche dénonce l’absence d’objectifs chiffrés pour le solaire et l’éolien, tandis que le centre apparaît divisé. Dans ce contexte, l’adoption d’une loi demeure très incertaine.
L’hypothèse d’un décret, qui permettrait de publier rapidement la PPE3 sans attendre un compromis parlementaire, reste sur la table. Mais elle dépendra de la stratégie du nouveau gouvernement, et notamment de la prise de fonction du nouveau ministre de l’énergie.
Même si le texte n’est pas encore publié, ses grandes lignes sont connues grâce aux consultations publiques, aux versions de travail et aux indiscrétions publiées dans la presse.
GW - TWh/An + conversion h/An 1T = 1000 G
En résumé, le projet de PPE3 affiche une relance du nucléaire, une progression ralentie des énergies renouvelables, et une insistance sur l’électrification des usages.
L’objectif annoncé reste inchangé : disposer d’une programmation énergétique stabilisée d’ici la fin de l’année, afin d’offrir de la visibilité aux acteurs du secteur et de répondre aux obligations européennes.
Le retard de la PPE3 a des conséquences concrètes.
Les acteurs du solaire, de l’éolien et du nucléaire ont besoin de visibilité pour engager leurs investissements. Sans objectifs clairs, les appels d’offres peinent à se lancer, les usines hésitent à s’implanter, et les carnets de commandes stagnent.
De nombreuses stratégies locales (plans climat-air-énergie, schémas régionaux, projets territoriaux d’énergie renouvelable) reposent sur la PPE nationale. Son absence brouille le message et retarde les projets.
La France s’est engagée à atteindre 44 % d’énergies renouvelables dans sa consommation finale brute d’ici 2030, conformément au paquet européen « Fit for 55 ». Sans PPE claire, le pays risque un décalage majeur avec ses obligations européennes.
Le signal envoyé est celui d’une incertitude politique au moment où la demande d’électricité décarbonée croît. L’absence de cap clair fragilise l’atteinte des objectifs climatiques et retarde la décarbonation des usages.
La PPE3 devait être la grande feuille de route énergétique de la décennie. Elle est devenue le symbole des retards et des hésitations qui fragilisent la planification française. Après deux ans et demi d’attente, les filières industrielles, les collectivités et les investisseurs n’ont toujours pas de visibilité pour préparer leurs projets.
L’arrivée d’un nouveau gouvernement, conduit par Sébastien Lecornu, ajoute une incertitude supplémentaire : l’examen parlementaire de la proposition de loi Gremillet pourrait être décalé, et la voie réglementaire reste en suspens. Qu’elle passe par la loi, votée par le parlement, ou par un décret, pris par l’exécutif, l’urgence demeure la même : publier rapidement une programmation claire et stabilisée.
Chaque mois perdu retarde les investissements, accroît les incertitudes et trouble la trajectoire française par rapport aux objectifs européens. Sans PPE adoptée avant la fin de l’année, la France continuerait de naviguer à vue dans un contexte énergétique et climatique où l’attentisme n’est plus une option.